Quand on pense au tango, on imagine tout de suite Buenos Aires, les ruelles animées, les couples qui s’enlacent au rythme d’un bandonéon. Mais peu de gens savent que cette danse mythique, symbole de l’Argentine, puise en réalité ses racines dans la culture africaine. C’est ce que rappelait le réalisateur Dan Pedro dans son documentaire Tangone, en suivant le musicien et chanteur Juan Carlos Cáceres, fervent défenseur de l’africanité du tango.
Tous deux expliquent que le mot tango apparaît au temps de la traite négrière, lorsque les Africains déportés vers l’Amérique du Sud notamment au Brésil et en Argentine apportent avec eux leurs langues, leurs rythmes et leurs croyances. Ces Africains venaient majoritairement d’Angola, mais aussi du vaste Empire du Congo, qui englobait l’actuelle RDC, le Congo-Brazzaville et une partie du Cameroun. Dans la langue kikongo, tango signifie littéralement lieu de rencontre. Et tout prend sens : avant d’être un style de danse codifié, le tango était un moment de communion, un espace de partage et d’expression, profondément ancré dans les traditions africaines.
À ses origines, le tango se dansait d’ailleurs de manière bien plus libre, plus rythmée, inspirée des cérémonies du candomblé, une croyance bantu et yoruba dédiée aux divinités appelées Orisha. C’était une danse vivante, spirituelle, chargée d’énergie. Mais en arrivant en Argentine, le mouvement s’est transformé. L’arrivée des Européens notamment des Italiens, des Allemands et des anciens nazis après la Seconde Guerre mondiale a profondément modifié cette culture. Pour « fixer » les pas des danseurs noirs, ils ont commencé à les codifier, à les rendre plus stricts, plus académiques, jusqu’à donner naissance à la version du tango qu’on connaît aujourd’hui : élégante, sensuelle… mais bien éloignée de ses origines africaines.
Et si, aujourd’hui, il n’y a presque plus de Noirs en Argentine, c’est aussi le résultat d’un effacement historique. En 1840, ils représentaient près de 40 % de la population. Aujourd’hui, à peine 1 %. Pourquoi ? Parce qu’on les a envoyés en première ligne pendant les guerres d’indépendance, en leur promettant la liberté. Beaucoup sont morts, et avec eux, une part de l’âme africaine du pays. L’Argentine a longtemps voulu se construire une image « blanche et pure », effaçant tout ce qui rappelait l’Afrique. Mais le tango, lui, n’a jamais oublié. Dans ses rythmes syncopés, dans sa passion brûlante, dans sa force collective, il reste ce lieu de rencontre que chantaient les ancêtres. Un lieu où la mémoire danse encore.

